Le copilote est un robot
« Les automatismes permettent trois choses. D’abord, ils secondent l’équipage dans des tâches qu’il ne pourrait pas faire seul : se poser dans le brouillard ou effectuer une somme de calcul importante en peu de temps. Ensuite, ils augmentent des performances humaines. Aujourd’hui, dans un espace aérien très encombré, les avions sont séparés par une distance verticale de 300 m. Tenir cet écart avec précision pendant des heures serait épuisant sans l’aide d’automatismes de pilotage. Enfin, en cas de panne, les automatismes aident à la synthèse et à la compréhension d’une situation », explique le commandant de bord Cyrille Aubry. Lui vole depuis presque trente ans. Avec 11 000 heures de vol acquises dans l’armée puis dans le civil, il fut aussi le pilote de l’avion présidentiel du temps de Jacques Chirac et instructeur. « Travailler avec les ordinateurs peut donner le sentiment d’être dépossédé d’une partie de ta compétence. Mais si tu l’acceptes, si tu fais de l’ordinateur un partenaire, il va te permettre des choses qui sont infiniment plus performantes que si tu étais tout seul à bord. » Le cockpit comprendrait donc un autre copilote dans l’avion : l’équipage humain… et les automatismes. Tu dialogues avec ton avion, tu fais attention à lui, tu le ménages. Si tu pilotes en le brusquant sans le comprendre, il ne va pas bien réagir, et cela certainement au détriment de la sécurité. Quand tu fais le travail nécessaire de la compréhension des automatismes, tu vas te poser la bonne question : celle qui consiste à savoir pourquoi l’avion adopte tel ou tel comportement. Et dans des avions devenus toujours plus complexes, la mesure est juste indispensable. Il est un peu plus de minuit quand le vol Rio-Paris disparaît des écrans radars. Nous sommes le 1er juin 2009. À l’origine de l’accident le plus meurtrier de l’histoire d’Air France, un problème de dialogue entre l’homme et la machine. Ils sont en vol de croisière au-dessus de l’océan Atlantique quand le tableau de bord indique que la vitesse, stable jusque-là, accélère brutalement. Pour faire ralentir l’avion, le pilote décide de lui faire prendre de l’altitude. Aussitôt, l’alarme se déclenche : « Stall, stall, stall… », annonçant que l’Airbus est en passe de décrocher. Quelques minutes plus tard, l’avion se crashera en mer. Sur les 228 personnes à bord, aucun survivant. Que s’est-il passé ? À l’origine, un problème de capteurs. Pris par la glace, l’un d’entre eux, destiné à mesurer la vitesse de l’appareil, se bouche et commence à indiquer que la vitesse de l’avion est trop importante. En tirant sur le manche, le pilote va donc non seulement créer un problème, mais se retrouver dans la situation inverse à celle que lui indique son appareil : l’avion a désormais bel et bien un problème de vitesse, mais celle-ci devient dangereusement faible et non pas trop élevée. Les choses se compliquent encore. L’ordinateur de bord tente de modéliser la situation, mais en dessous d’une certaine vitesse, 70 nœuds en l’occurrence, il considère qu’il n’est plus capable de le faire. Il bloque donc ses calculs, et n’envoie plus d’alarme. Le pilote se trouve ainsi dans cette situation folle : quand il tire sur le manche de son avion, il décélère, passe sous la barre des 70 nœuds, et met effectivement l’appareil en péril… mais l’alarme cesse. Quand il arrête de tirer sur le manche, il repasse au-dessus des 70 nœuds, ce qu’il est urgent de faire, mais l’ordinateur, en se remettant à fonctionner, relance l’alarme dans le cockpit… Pour l’équipage, c’est la confusion totale. Dans ce maelström d’informations contradictoires, il est désormais incapable de prendre la bonne décision. Évidemment, il s’agit là d’une situation exceptionnelle. Mais c’est parce que l’exceptionnel peut arriver que l’homme demeure indispensable. Il est seul capable de juger de l’ensemble des paramètres d’une situation, « parce que les situations ne sont jamais blanches ou noires, elles sont toujours grises et n’offrent parfois que des solutions particulières pour des contextes particuliers. Dans le cas du Rio-Paris, un pilote expérimenté aurait compris qu’il est mécaniquement impossible que la vitesse de l’appareil accélère aussi brutalement ». Et ce qui fait la faiblesse de l’homme… fait aussi sa force : il a effectivement cette capacité à prendre des décisions intuitives, en dehors des règles, en shuntant le lent process d’analyses et de validations. Quand le 15 juin 2009, le commandant de bord Chesley Sullenberger décide d’amerrir en plein cœur de New York, sur le fleuve Hudson, aucun automatisme ne peut le faire à sa place, et cela ne correspond à aucune procédure connue. « Quelques fois, tu n’as pas le choix, tu te retrouves dans une situation qui n’a jamais eu lieu et qui s’avère très complexe. Quand tu n’as que quelques minutes pour choisir, que des vies sont en jeu… le recours à l’intuition, à l’expérience, est alors déterminant. » Mais cette nouvelle cohabitation avec les automatismes ne nous fait-elle pas perdre ce qui fait justement notre spécificité humaine ? « Sans doute… mais cela ne tient peut-être pas qu’aux automatismes, il s’agit là d’un fonctionnement global qui favorise toujours la règle au détriment de la liberté d’agir. » C’est le travers de la philosophie des procédures qui génère certes plus de sécurité mais produit aussi des gens qui sont plus formatés. Mais les compagnies en ont conscience, c’est pour ça qu’elles recrutent des gens de différents horizons, qui s’enrichissent de points de vue complémentaires. Certes, la fiabilité de l’aviation civile ou militaire repose essentiellement sur les vertus de la discipline. « La première chose consiste à faire acte d’humilité, à comprendre tous les paramètres de notre métier et à faire son expérience. Dans ce cadre, la fonction de l’équipage est de respecter et faire respecter la procédure, qu’il fasse fonctionner le système tel que prévu pour tirer la meilleure performance de l’avion. Mais l’équipage doit développer d’autres qualités. En plus d’appliquer la procédure, il doit également trouver des solutions qui l’obligent à faire preuve d’adaptation et de créativité et parfois au détriment de la règle. Ces qualités sont nécessaires à l’exercice du jugement qui est le pilier de la performance humaine dans un cockpit. S’il s’agissait toujours de rester sur les rails, la machine le ferait beaucoup mieux que nous. ». Source: Fouga Magister.
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